Aujourd’hui nous partageons avec vous le témoignage anonyme d’un sœur, rongée par un mal qui touche bien plus de personnes que l’on croit, un mal invisible, un mal souvent peu pris au sérieux, voir moqué et critiqué. Et pourtant, il est une réalité, même dans notre communauté … Qu’Allah facilite cette sœur ainsi que toutes les personnes touchées par cette épreuve.

 

mal-invisible-dépression

 

« Au nom d’Allah, Le Tout-Miséricordieux, Le Très-Miséricordieux,

As salamu aleykum wa rahmatuLlahi wa barakatuh

 

Cette lettre s’adresse à quiconque, au sein de notre communauté, prendra le temps de la lire.

C’est un témoignage, anonyme, qui n’engage que moi. Si je choisis de faire part de mon expérience pour qu’une voix se fasse entendre, je ne parle qu’en mon nom.

Les mots ont du mal à se coucher sur le papier, car choisir soigneusement la tournure de sa phrase c’est quand même trahir un peu ses sentiments. Ce dont j’ai choisi de vous faire part est probablement l’une des épreuves les plus difficiles que j’aie eue à traverser jusqu’à présent.

Je suis malade. Je remercie toutefois Allah car ma maladie n’affecte pas mes fonctions vitales. Je ne souffre pas d’un mal incurable, pas non plus d’une maladie orpheline ni même d’un cancer. Toutefois, c’est un trouble qui me rend la vie, et la vie de mes proches, parfois très pénible. Il est silencieux et presque invisible pour ceux qui ne partagent pas mon quotidien. C’est un mal dont on parle énormément, le citant à tout va, le diagnostiquant n’importe comment et à n’importe qui. À tort, de nombreuses personnes la considèrent comme une fausse maladie. Pourtant, elle touche des centaines de milliers de personne et est responsable d’une importante partie des incapacités de travail dans les pays industrialisés. Il s’agit de la dépression nerveuse. Elle est réellement une maladie, et peut d’ailleurs s’observer sur un IRM : en comparaison avec un cerveau sain, le cerveau d’une personne dépressive possède plusieurs particularités et changements parfois majeurs. On ne sait en revanche toujours pas si ces changements sont les causes ou les conséquences de la maladie. La dépression est un trouble du comportement caractérisée par un ralentissement des fonctions psychiques et motrices, un manque de motivation, une perte d’intérêts et une profonde tristesse. Evidemment, chaque cas possède ses particularités, chaque individu et chaque histoire étant différents.

On m’a diagnostiquée récemment une dépression chronique sévère. Chronique car elle s’est établie peu à peu depuis plusieurs années. Sévère car je ne suis pratiquement plus fonctionnelle et ne ressens presque plus rien.

En ce qui me concerne, j’ai le souvenir de n’avoir jamais été heureuse, de ne m’être jamais sentie à ma place. J’ai grandi avec un profond sentiment de solitude et l’impression que personne ne me comprenait ni ne me comprendrait jamais. J’ai une histoire familiale plutôt compliquée sur laquelle je ne souhaite pas m’exprimer. Disons que je fais partie d’une famille disloquée dont plusieurs membres souffrent, ou ont souffert, de troubles du comportement. J’ai beaucoup déménagé et n’ai pas vraiment eu l’occasion de tisser des liens solides avec mes proches. Aussitôt pubère, j’ai commencé à faire n’importe quoi : alcool, sorties, mauvaises fréquentations… Mes relations familiales oscillaient entre tendues et inexistantes, je n’avais aucun intérêt ni aucune passion et mes études me passaient au-dessus de la tête. Je n’étais absolument pas capable de faire des projets d’avenir. Mon mal être allant en grandissant, j’ai commencé à me mutiler. Puis c’était les troubles du comportement alimentaire. Tout ceci a duré des années sans que personne dans mon entourage ne le remarque, hormis quelques proches amies, sans doute aussi désemparées que moi. A l’âge de 15 ans, j’ai fait une tentative de suicide. Ce n’était pas la première. Seulement là j’étais allée loin, j’en ai rapidement pris conscience et j’ai paniqué. Je ne voulais pas mourir. Juste qu’on comprenne mon mal-être, ma souffrance, mon désarroi, le vide que je ressentais en moi parfois. Je voulais juste que quelqu’un me prenne dans ses bras et me promette que je pouvais dépasser ça. J’ai appelé des copines à l’aide, elles m’ont emmenée aux urgences. On m’a prise en charge, puis j’ai pu rentrer chez moi. Sans suivi. Je n’ai jamais parlé à personne de ce qui s’était passé quelques jours avant mon passage à l’acte. J’ai donc repris ma vie, consciente que rien ne s’était arrangé. Ni mon humeur, ni mon comportement. J’ai fait avec, et mon entourage également. J’ai continué à ressasser des idées noires, à me faire du mal par tous les moyens possibles en tentant malgré tout de donner l’illusion d’aller bien.

Tout a changé lorsque j’ai découvert l’islam, lorsque la foi a illuminé mon cœur. J’ai alors su que ma vie avait un sens. Et je me suis convertie quelques mois plus tard. J’ai connu une année de sérénité, malgré les épreuves toujours présentes. Puis après une année passée à prier, jeûner, porter le voile, fréquenter la mosquée, tout a basculé et j’ai repris l’ensemble de mes mauvaises habitudes. C’est allé très loin, j’aurais pu me perdre définitivement. Mais Allah subhanu wa ta’ala, dans Son infinie miséricorde, m’a rappelé Sa présence. J’ai peu à peu changé à nouveau d’habitudes et d’apparence, je me suis repentie, et j’ai repris le chemin de la vertu, lentement cette fois. Hélas, je n’ai pas connu l’engouement et la paix intérieure qui m’ont envahie la première fois. Le mal était fait, j’avais accumulé trop de péchés, trop de mauvaises expériences. J’étais une femme brisée mais je n’en avais pas encore conscience. J’étais à cette époque encore convaincue que la religion suffirait à chasser ma souffrance et mes douleurs. Peu après être revenue sur le droit chemin, je me suis mariée. Je suis tombée enceinte dans la foulée. Ce fut une expérience désastreuse et très douloureuse. Mon ex-mari n’était jamais là, commettait des péchés graves et les mauvais traitements ont commencé. C’est monté progressivement en grade et je remercie Allah d’avoir pu me libérer avant qu’il ne commence à me frapper violemment.

Après mon divorce, alors que je pensais avoir l’énergie nécessaire pour me reconstruire, j’ai sombré. Une profonde lassitude, une perte totale de motivation et de désirs se sont emparés de moi. J’ai fini par me laisser aller totalement, ne me levant que pour le strict minimum, bien que je voudrais en faire plus. Tout en m’arrangeant pour donner le change à l’extérieur. Cette situation aurait pu durer et s’envenimer. Al hamduliLlah, une personne de mon entourage s’est aperçue de mon état et m’a poussée à consulter un psychiatre. Après quelques séances d’évaluation, le verdict est tombé. L’ensemble des épreuves que j’ai connues depuis ma naissance couplées certainement à d’autres facteurs m’ont ravagée. Littéralement. La religion est un puissant remède, elle m’a empêché de commettre bien des péchés. Elle m’aide également à ne pas désespérer totalement. Néanmoins, mon état nécessite aujourd’hui une prise en charge médicale. Je sais, je suis convaincue, en tant que croyante, que la guérison ne provient que d’Allah. Mais accepter que je ne suis plus fonctionnelle, accepter mes défaillances et me tourner vers la médecine profane est une cause qui je l’espère, par la grâce du Très-Haut, me permettra de retrouver la forme et l’ensemble de mes capacités.

 

Si j’ai choisi de faire part d’une partie de mon histoire c’est parce que les personnes dépressives, en particulier dans la communauté musulmane, de mon expérience et de ce que j’ai eu l’occasion d’observer, ne sont bien souvent pas prises au sérieux. Elles sont souvent stigmatisées et leur incapacité à fonctionner niée. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis entendue dire que je me complaisais dans ma souffrance, que finalement ça m’arrange bien, que je ne suis qu’une paresseuse, que les personnes qui souffrent vraiment aimeraient bien être à ma place, qu’il suffit d’un peu de volonté…

Le problème avec ce genre de commentaires ou de faux conseils c’est qu’ils entretiennent l’idée négative que la personne a déjà de soi et la font repartir dans un cercle vicieux de pensées négatives et de laisser aller. S’il suffisait de se lever, dire bismiLlah et retrousser ses manches… Quand on a essayé la roqya, que l’on prend soin de réciter ses invocations matin et soir, ses sourates protectrices, quand on veut vraiment, profondément, retrouver la joie de vivre, la force de construire à nouveau mais que le corps ne suit pas, on finit par accepter l’idée, certes douloureuse, que notre psyché est atteint ; que notre cerveau en porte les séquelles et finalement c’est aussi rassurant. Car la dépression, même chronique, même sévère, est réversible. Ses atteintes laissent des traces souvent indélébiles mais on s’en sort.

Fréquemment, se pose la question de la médication. Je ne souhaite pas en parler, c’est un choix personnel qui parfois semble s’imposer.

Finalement, peu importe que je sois aujourd’hui ou non sous antidépresseurs. Le fait est que je commence à croire à nouveau en moi. Je sais que la route est longue. Très longue. J’entame une psychothérapie et je me fais doucement à l’idée de devoir remuer des souvenirs douloureux. Je sais aussi que je vais certainement vouloir tout laisser tomber mais j’en fais mon combat personnel, mon jihad.

J’ai choisi de témoigner car je sais pertinemment que je ne suis pas seule dans ce cas. Car je sais que nous sommes nombreux et nombreuses à multiplier les séances de roqya, à prier, jeûner, changer d’alimentation et ne voir que peu de changements ou vivre malgré tout des rechutes violentes. Et par Allah j’encourage absolument tout le monde à procéder ainsi. Simplement, quand notre état s’impose à nous, que nous sommes comme prisonnier de notre propre corps, que nous nous retrouvons soudain (ou progressivement) triste, ralenti il ne faut pas avoir honte ou peur d’en parler et ne pas hésiter à consulter un médecin. Une dépression détectée assez tôt passe généralement rapidement, sans laisser de trace et sans revenir. Et croyez-moi, vous ne voudriez certainement pas vous retrouver en dépression sévère ni souffrir de dépression chronique. Vraiment pas. Je vous le garantis ! Encore une fois, la dépression n’est pas un signe de paresse, elle n’est pas synonyme de faiblesse de foi. Et surtout, les troubles du comportement ne font pas de la personne qui en souffre une folle ou un fou ! Et je ne dis pas ça parce que je suis concernée. Je dis ça car c’est un fléau, qui s’explique sans doute par l’éloignement de l’Homme vis-à-vis de son Seigneur, je l’admets volontiers. Mais tout en s’attaquant à ses causes, il est important de prendre soin de ses victimes. C’est la maladie du siècle et je sais que beaucoup de frères et de sœurs en sont touchés. J’ai mal pour eux, par Allah je ressens leur douleur et je voudrais leur dire que c’est un soulagement de pouvoir être pris-e au sérieux. Bien entendu, je le répète plus clairement, je n’invite personne à se remettre corps et âme entre les mains de la médecine. C’est une cause. La guérison ne vient que du Créateur, certainement pas de Ses créatures. C’est Lui Qui connaît nos cœurs et nos vies sont entre Ses mains. Il convient, à fortiori dans la maladie, de s’en remettre à Lui, de multiplier les invocations et les actes permettant de se rapprocher de Lui, car c’est à Lui que nous appartenons et c’est auprès de Lui que nous retournerons.

 

Le Coran et la Sunna nous ont laissé de puissant remèdes et la clé pour soigner son âme et son cœur. Alors à tous ceux qui me liront, sain de corps et d’esprit, par Allah, prenez soin de votre foi ! Protégez-vous et protégez vos enfants. Adoptez de bonnes et saines habitudes. Eloignez-vous de l’illicite, utilisez la parole d’Allah azawajal, abusez-en. Et n’attendez pas d’être à bout de forces pour reconnaître votre vulnérabilité. Nous sommes faibles. Il en est ainsi, notre seule force réside dans notre foi.

Mes frères et sœurs qui souffrez de troubles du comportement, si le mal invisible est une réalité et doit être lui aussi pris au sérieux, les troubles nerveux et neurologiques le sont aussi. Ils sont avérés et n’épargne personne. Alors faites les causes pour vous soigner et, tous, prenez soin de votre mental, de votre moral, comme vous prenez soin de votre corps.

Quant à moi, je me rassure en me disant : « Allah n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. » (s.2, v.286) »